mardi 3 avril 2012

Histoire des serpents en forêt de Fontainebleau

Samedi 24 mars 2012, les randonneurs du Falrando ont assisté à un spectacle assez rare: une parade d’accouplement de deux vipères, comme nous l’avons vu dans ce billet: Danse de serpent au Pignon des Maquisards.
Aujourd’hui il s’agit d’une espèce protégée, mais on s’est livré au cours des siècles précédents à une véritable tentative d’éradication des reptiles en forêt, à la mesure de la terreur que l’animal inspirait. Quand on lit les chiffres rapportés, c’est une chance qu’il en reste encore…
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Quelques pages d’histoire, en commençant par la plus récente.
La Rumeur: des lâchers de vipères par hélicoptère ! On trouve cette anecdote dans le livre de Anne Valleys, La Forêt des passions, page 258:
L'administration  forestière effectuerait de discrets lâchers de vipères par hélicoptère sur le massif ! Le 21 juillet 1994, le courrier des lecteurs de La République de Seine-et-Marne est à l'inquiétude: un citoyen signale une inhabituelle présence d'ophidiens aux abords des habitations de Nemours-Château-Landon. Un habitant de Bouligny prétend même avoir trouvé une caisse grouillante de reptiles dans son champ. La rumeur s'amplifie, elle atteint enfin les commissariats  où on la prend très au sérieux. Paul Florens, le commissaire qui dirige la juridiction de Dammarie-les-Lys, affirme que I'ONF, c'est de notoriété publique, largue par hélico, non pas des caisses mais des ballons de vipères dans le but d'éliminer les "espèces nuisibles" qui  prolifèrent dans les sous-bois.
« Les ballons sont pratiques, explique cet expert mis à la retraite anticipée ultérieurernent, ils éclatent dans I'atmosphère, libérant les serpents qui s'éparpillent au gré du vent et se dispersent dans la forêt.»
L'agent  Denis Denizot sourit  « Dix fois, cent fois déjà nous l'avons répété : pourquoi nous amuserions-nous à parachuter des vipères dans une forêt qui en est peuplée naturellement?  Nous  avons les couleuvres vipérines qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à la vipère, on les observe le plus souvent dans les mares de platières, du côté de Franchard. Vous pouvez  admirer aussi la couleuvre  d'Esculape et la couleuvre à collier... Et ces espèces sont inoffensives. Mais la forêt héberge encore la vipère aspic et la péliade, qui sont bien plus dangereuses.»

Voilà ce qu’écrit Paul Domet, témoin et historien des années 1870, à propos de cette guerre livrée aux reptiles:
Loin d’être un ennemi
Nous ajouterons à cette liste un animal qui est loin cependant d'être I'ennemi de la forêt car il se nourrit et la débarrasse des mulots, campagnols et divers autres parasites, mais dont la terrible renommée est trop associée au nom de Fontainebleau pour que nous puissions le passer sous silence; nous voulons  parler de la vipère.
Description
Voici ce qu'enseigne la science : l'espèce que l'on trouve dans le pays est la vipère commune,  dont la longueur totale maxima est de soixante centimètres, dont  la couleur est variable, cendrée, rousse ou même  rouge brique avec une bande noire anguleuse sur le dos, et des taches de même couleur sur les flancs. La vipère, comme tous  les serpents venimeux, est ovovivipare, c'est-à-dire qu'elle engendre des œufs, mais qu'ils éclosent, dans le sein même de la mère, qui, en réalité, produit ainsi des petits vivants.  
La vipère possède, faisant corps avec ses os maxillaires supérieurs, deux crochets très-aigus, et percés d'un petit canal  intérieur; ces crochets, suivant  les mouvements de l'os qui leur sert de base, peuvent se reployer en arrière, et s'appliquer dans un repli des gencives, ou se redresser, à la volonté de I 'animal; on remarque, derrière eux, de petites saillies destinées à s'accroître, et à les remplacer, s'ils se cassent. 
Le venin A leur conduit  intérieur aboutit un canal qui déverse au dehors un liquide formé dans une glande considérable située sous l'œil; ce liquide est le venin que le serpent  injecte dans la plaie qu'il a faite avec ses dents mobiles. Introduit  dans les voies digestives, le venin n'a pas d'action, mais mélangé à la masse du sang, il est extrêmement dangereux, et d'autant  plus, que  la chaleur est plus forte, l’irritabilité  du reptile plus excitée,  ou qu'il y a plus longtemps que celui-ci n'a fait usage  de ses armes. Les animaux  de petite taille, surtout ceux à sang chaud, succombent, en très-peu de temps, à une morsure de la vipère; l 'homme, lui-même, peut en mourir; tous les deux ou trois ans, il y en a malheureusement, quel qu'exemple à Fontainebleau  ou dans les villages environnants.
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(Attention: l'intérêt de ce texte est historique, pas médical. Se reporter à ce billet: Vipères, morsures, préventions, soins) On connaît peu la nature du venin, il  n'est ni âcre  ni brûlant, et mis sur la langue il  ne procure d'autre sensation que celle d'un corps gras. Les moyens à employer pour combattre ses effets sont les suivants: faire une ligature  très serrée, au-dessus de la plaie, afin d'empêcher le sang vicié de se répandre dans la circulation, et d'y porter ses ravages; élargir cette plaie, et la brûler avec un fer rouge, ou de la potasse caustique. On peut encore la ventouser, ou en faire sans danger, sortir le sang, en l'aspirant avec la bouche. Un remède des plus efficaces consiste à verser sur la piqure de l'alcali volatil ou ammoniaque, dont il est prudent d'être toujours muni en forêt. On peut même administrer intérieurement quelques gouttes de ce liquide, en dissolution dans un verre d'eau. L'ammoniaque paraît neutraliser le venin, sans qu'on sache comment, puisque ce dernier n'est de nature acide.
Un animal craintif
Du reste, avec quelques précautions, il est facile d'éviter les atteintes de ces animaux, car ils sont timides et s'enfuient à l'approche. Ce n'est donc qu'en les contrariant, ou en mettant le pied dessus par mégarde, qu'on s'expose à un accident. On rencontre surtout les vipères aux expositions méridionales, au milieu des débris de carrières; le Long-Rocher paraît être la partie de la forêt où l'on en trouve le plus. L'hiver, elles s'engourdissent; il arrive cependant, quelquefois, au milieu des belles journées de soleil, que l'on en rencontre de parfaitement vivaces, même en cette saison.
Couleuvres
Une des quatre espèces de couleuvre qui habitent notre forêt: la vipérine, a quelques ressemblances , par sa grosseur, sa couleur, ses taches, avec la vipère, mais on la différencie facilement par la tête: celle du seul représentant des serpents venimeux dans notre pays n'est recouverte que de petites écailles granuleuses, et n'offre jamais les plaques de celle de toutes les couleuvres. Il ne saurait y avoir aucun doute pour les trois autres espèces: la couleuvre à collier; la couleuvre d'Esculape, la couleuvre lisse, pas plus que pour l'orvet, ce quasi-lézard, qu'on rencontre fréquemment dans nos sentiers.

Jadis, le danger mortel des vipères...
Autrefois les vipères étaient nombreuses à Fontainebleau, et les accidents, fréquents. Sous le Premier Empire, le docteur Paulet, médecin du château, forma le projet de détruire celles-ci, en offrant une prime pour chaque tête qu'on lui apporterait. Depuis, son œuvre fut continuée par son successeur, le docteur Bartout, auquel le trésor de la Couronne remboursa annuellement les avances faites. Une vipère était payée à raison de 30 centimes. Nous avons retrouvé ces comptes, pour 1841, 1842, 1843 et la moyenne des têtes contrôlées s'éleva, pendant ce laps de temps, à huit cents, pour une année. A la Révolution de février, la ville se substitua aux anciennes listes civiles, et une décision du Conseil municipal de Fontainebleau, en date du 5 juillet 1848, attribua à cette dépense un crédit de 150 francs, renouvelé depuis, chaque année, et porté, bientôt après, à 250 francs.
Représentation des chasseurs de vipères au XIXè


Le prix des vipères (note: à l'époque, un ouvrier est payé trois francs par jour.)
Chaque vipère est payée 25 centimes, les jeunes, encore dans le ventre de leur mère, 10 centimes. La somme totale est rarement épuisée. En 1853, l'administration de la Liste civile impériale accorda aux gardes 50 centimes par tête de ces animaux redoutables. La dépense annuelle s'éleva, en moyenne, à trois cent cinquante francs, et le nombre de vipères contrôlées, tant par les agents forestiers que par la ville, à quinze cents environ; la dernière reste seule, maintenant, à continuer cette œuvre, si éminemment utile. 
Un homme du pays, le sieur Barrage, a fait de la chasse à la vipère une véritable industrie; il absorbe, à lui seul, la presque totalité du crédit voté par le Conseil municipal. Il vend, en outre, un assez grand nombre de ces reptiles à des pharmaciens qui font avec la graisse un baume thérapeutique, ou bien à des curieux, qui les emportent vivants, il est connu sous le nom de tueur de vipère. 
Grâce à ces mesures, la forêt de Fontainebleau est maintenant, peut-être, le pays boisé de France où l'on rencontre le moins de vipères; voyez combien une mauvaise réputation s'efface difficilement: encore aujourd'hui, des milliers de personnes sont convaincues qu'elles courraient un danger grave en posant le pied en dehors de nos grands chemins.
Au XXe siècle, le père la Vipère: Edmond Pelletier le chasseur de vipères
Un des descendants de ces chasseurs de vipères que présente Paul Domet. Depuis 1912, Edmond Pelletier les pourchasse et les stocke chez lui, à Recloses dans des petites cages en bois avant de les porter à l'Institut Pasteur, à Paris. Un jour, il effraie les passagers du métro car une des ses cages s'est ouverte !
Il en détruisait, dit-on, près de 500 par an et il se fait mordre 16 fois en trente années de chasse. Pas rancunier, il en apprivoise quelques unes comme nous le voyons sur la carte postale et cela lui apporte la célébrité: cartes vues éditées par la Vie au patronage, rôles de charmeur de serpents dans des petits films, et, en 1981, le Figaro reproduit à 600 000 exemplaires le visage d'Edmond Pelletier le cou enroulé de ses aspics (Source: Notre Département n°8, août-septembre 1989, notice de Colette et Étienne Bidon).

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Est l'information est sur ​​la chasse aux vipères dérivé du livre Histoire de la forêt de Fontainebleau par Paul Domet?
    Cordialement

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