dimanche 26 février 2012

L’éternel retour de la crue centennale

Mercredi 22 février, l'émission de vulgarisation scientifique de France-inter "La tête au carré" avait pour thème: La crue de la Seine et l'étalement urbain. L'émission était captivante avec des invités connaissant leur sujet sur le bout des doigts. Le blog s'est déjà intéressé à ce risque de crue avec deux billets: Le risque de crue et la crue de 1910.
La géographe  Magali Reghezza-Zitt qui parle si bien du risque de crue a écrit Paris coule t-il ? chez Fayard. Elle est par ailleurs auteur d'une thèse de doctorat sur le même sujet que l'on peut télécharger et lire  en PDF sur le site de l'École normale supérieure. Voilà ce qu'elle a dit au cours de l'émission de France-inter:
Quelles seraient les conséquences d'une crue de la Seine sur le modèle de celle de 1910 ?
Magali Reghezza-Zitt :
La crue par-rapport à la péri-urbanisation: quand la ville, organisme artificiel, s'étale, elle va artificialiser les milieux, et donc va profondément modifier les conditions d'écoulement. Ce mécanisme de périurbanisation existe surtout dans le sud de la France, il a beaucoup d'impact là-bas; à Paris, comme on a construit des contre-feux par-rapport à cet étalement urbain, on a réussi à contrebalancer les effets de la péri-urbanisation, donc ce n'est pas l'étalement urbain qui est la cause principale de l'inondation.
En revanche, plus il y a de monde exposé dans les zones inondables, plus ça pose de problème en terme d'évacuation, de gestion des sinistrés, de gestion des biens. Et il se trouve que dans l'IDF, l'étalement urbain s'est fait dans les vallées fluviales, soit par l'habitat, soit par l'industrie qui est allée s'installer, en particulier dans la vallée de la Seine. Si vous descendez la Seine, vous allez arriver à Gennevilliers, où il y a tous les dépôts de carburant, vous continuez un peu, vous avez les usines, des universités, des terrains de sport, un habitat mixte, des centres commerciaux, autant d'enjeux qui n'existaient pas, et qui sont menacés par la crue.
Si une crue survenait, elle concernerait toute la Seine ?
Oui, tout l'espace qui est drainé par la Seine et ses affluents, donc ça commence en amont, sur la Champagne en particulier, et on arrive jusqu'au Hâvre. On se concentre sur Paris et sur la banlieue parce que c'est là que se trouvent le maximum d'enjeux, et le maximum de population. La région francilienne, c'est 10 millions d'habitants. On a les gens concernés directement, parce-que la crue va inonder soit les caves, soit carrément la maison, soit indirectement, parce que l'inondation va provoquer la défaillance des systèmes techniques, qui permettent la vie quotidienne: le chauffage, l'électricité, l'essence, les distributeurs de billets automatiques, l'approvisionnement en eau potable, en nourriture, et tout ça fait que des gens qui n'auront pas les pieds dans l'eau seront aussi concernés.
Inondation classique: pourrissement des objets qui vont baigner plusieurs jours dans l'eau, la destruction matérielle des biens. Le problème, c'est qu'il y a d'autres enjeux à Paris, notamment toute l'activité économique, répartie en banlieue et à Paris.
Vous avez en IDF des activités économiques un peu particulières, très insérées dans la mondialisation, exemple: les sièges sociaux des entreprises, à la Défense, et si vous les perturbez, ça a des conséquences inédites par-rapport à ce qui s'est passé en 1910.
Vous avez 2 inondations en une: la classique, et celle de la continuité des activités stratégiques pour l'économie, la politique, exemple l'assemblée nationale, la présidence de la République (on a ces images de 1910, où les députés de l'époque sortent en barque de l'assemblée nationale)
La gare d'Orsay, aujourd'hui musée, est sous l'eau.
inondation gare de Lyonfosse_ours_2
La gare de Lyon devenue un port, un débarcadère. Les ours polaires du Jardin des plantes baignent dans l'eau. (Sources des images: fond de Seine en Partagele fil du temps.)
ça parait bizarre, parce que c'est en noir et blanc, que les gens sont en costume d'époque, mais ça peut se passer aujourd'hui, ça s'est passé dans d'autres villes.
Inondations, 24 janvier 1910, quai de Passy Paris, 16e arrondissement, personne sur un balcon surplombant l'eau de la crueSource de l’image: Gallica.
Quelle est la probabilité d'une crue du siècle aussi importante ? Que nous dit la science, comment on modélise ?
On prend à l'envers: on va partir d'un évènement de référence, qui est celui de 1910, c'est à peu près 8 m 64 de crue à l'échelle de Paris Austerlitz (la Seine en temps normal est à 2m50). Une chance sur cent par an: imaginez que vous ayez une urne avec des boules, 99 boules blanches, une noire, et vous tirez la boule noire. On se dit qu'il n'y a pas beaucoup de chances...sauf que si on fait ça sur plusieurs années, sur une vie humaine de 90 ans, vous avez deux chances sur trois de voir cette crue arriver...Ce n'est pas juste une vue de l'esprit.
Il y a des gens en ce moment à Paris qui travaillent sur ce dossier. On prend ça très au sérieux parce que ça va coûter beaucoup d'argent. On a affiné les estimations depuis une trentaine d'années, ça tourne autour des 18 milliards, en coût direct, et il y a tous les coûts indirects, certaines estimations vont jusqu'à 40 milliard d'euros...
Comment se passe la montée des eaux ?
C'est très lent, l'eau va monter de 50 cm à 1 mètre par jour, mais comme un des affluents de la Seine est rapide, ça perturbe complètement la prévision, on ne peut pas savoir au-delà de trois jours ce qui va se passer. L'eau monte, doucement, au début on ne voit pas ce qui se passe, l'espèce de nappe phréatique qu'il y a sous tous les fleuves, monte aussi, les caves commencent à être inondées, l'eau monte dans le chenal, et puis, elle déborde. Et là le problème, c'est que la ville de Paris et la banlieue sont truffées de canalisations, qui vont être eux aussi inondées par l'eau, et donc la ville va être inondée par le fleuve et par tout cet ensemble de réseaux de canalisations, qui accueille les eaux pluviales et les eaux usées, et donc la nappe d'eau va s'étendre.
Paris_1910_Inondation_gare_Saint-Lazare
En 1910, une canalisation était ouverte , l'eau est ressortie gare St-Lazare (note: une gare qui n'est pas à coté de la Seine et ne devrait normalement pas être touchée). On avait un lac de plus d'un mètre d'eau devant la gare St Lazare.
Sous Paris, vous avez des anciens bras de la Seine qui ont été abandonnés, et l'eau se remet à circuler, c'est pour ça qu'on a maintenant des études très précises pour savoir comment l'eau circule dans les sous-sols, et cette eau circule mal car la ville s'est enterrée à huit niveaux. Quand l'eau rencontre un mur, elle le contourne, quand elle ne peut pas le contourner, elle l'attaque, Paris , c'est un gruyère, on ne sait pas trop ce qui se passe, et ça inquiète les pouvoirs publics.
Le RER C : un plan d'inondation préventive. Il a été creusé dans la nappe très proche de la Seine, et si jamais on ne l'inonde pas préventivement, il risque de s'effondrer, et donc de faire effondrer ce qu'il y a dessus, immeubles, chaussée. La RATP travaille depuis 1996 sur un plan qui sert de modèle à l'Europe entière, pour ces gestions de crise, et on inondera le RER pour empêcher la catastrophe. On décide d'inonder préventivement à partir de 6m80. Car on considère que les dégâts seront moins importants que de se laisser inonder par la crue elle-même. L'objectif de la RATP, c'est de protéger son réseau, si l'eau rentre, les dégâts seront tellement importants qu'il faudra fermer le réseau.
(Extrait de l’article Wikipédia sur le RER C: « Le tronçon central, long de huit kilomètres, emprunte des tunnels vieillissants, parce que, pour l'essentiel, ils ont été construits en 1900. Dans certains secteurs, la voie côtoie de près la Seine. De plus, elle passe sous une chaussée aujourd'hui très fréquentée avec un faible écart entre cette chaussée et la voûte des tunnels.»).
Pollution : quand l'eau lessive la chaussée avec les métaux lourds, ça fait de la pollution.
Notre vulnérabilité est différente. En 1910, on était pas dépendant du métro, de l'électricité, et Paris n'était pas une métropole mondiale. Donc la perturbation va se diffuser au-delà de la simple zone inondable. Ex: La Défense ne verra pas une goutte d'eau mais elle ne pourra pas fonctionner. Les banques de la Défense doivent pouvoir déplacer leur salle de marché. Tous les sièges sociaux arrêtent de fonctionner.
On n'habite plus dans la même ville.C'est une métaphore de notre société qui veut tout vite et tout de suite
et qui se préocupe assez peu des conséquences naturelles.
L'acceptabilité de la société par-rapport à un tel risque, un tel événement ?
C'est le symbole des nouveaux risques, des risques du 21è siècle. Il y a toujours de l'eau, mais ça n'a pas les mêmes conséquences. La science ne peut pas empêcher les fleuves de déborder.
On va demander aux pouvoirs publics d'empêcher la crue, alors que ce qu'ils peuvent faire, c'est juste que ça dysfonctionne le moins possible pour avoir le moins d'impact possible. Et on est toujours en décalage dans
nos sociétés entre ce qu'on attend des pouvoirs publics et ce qu'ils peuvent réellement faire.
La polémique est prévisible: météofrance, le préfet, le gouvernement, le maire de Paris, les médias... ça marche à chaque fois de la même façon parce que les attentes sociales sont en décalage total avec la réalité du risque.
- Pour télécharger le fichier mp3 remonté avec juste l'essentiel (30 mn), c'est ici, sur Minus: Crue de la Seine.
- Article de Rue 89: Scénario catastrophe...

samedi 25 février 2012

L'étalement urbain

La deuxième partie de l'émission La tête au carré dont on rend compte dans ce billet sur la crue centennale concernait l'étalement urbain.
  • Avec Olivier Razemon

Journaliste free lance, notamment pour Le Monde (et aussi pour Géomètre, destiné à ces
professionnels)
Auteur avec Eric Hamelin de « La tentation du bitume » aux éditions Rue de l’échiquier

Éric Hamelin est sociologue et urbaniste, c'est important, cela lui permet d'avoir un regard de scientifique de la ville et aussi de scientifique de l'être humain.
Nous avons travaillé à partir de documents, et je suis allé passer une semaine dans un pavillon, en banlieue, m'immerger dans un mode de vie qui n'est pas le mien, j'y suis allé avec un ordinateur et un vélo. On se rend compte que  c'est compliqué quand on n'a pas de voiture.
Définition de l’étalement urbain:
C'est lorsque la progression de la ville dépasse la progression de la population. Aujourd'hui, ce qui se passe dans les pays occidentaux et en France en particulier: quand il y a un habitant supplémentaire, il y a trois fois la superficie nécessaire à cet habitant. C'est un phénomène auquel nous participons tous. La première réaction quand on entend parler d'étalement urbain, c'est de penser aux pavillons, de l'extension pavillonnaire, des villes, c'est ça, mais pas seulement. Ce sont aussi les zones d'entrepôts, les zones d'activité commerciale, les hangars de logistique, les gares TGV. Ce sont aussi les citadins de centre-ville qui décident d'habiter non plus dans 28 m2 mais dans 56 mètres carrés, les appartements qui s'agrandissent, le fait de pouvoir se procurer n'importe quel produit à n'importe quel moment, parce qu'il y a des entrepôts pas loin
C'est la ville qui s'étale, qui dépasse les proportions de l'étalement simplement lié à l'accroissement de population.Quand il y a un habitant en plus, il y a trois fois la superficie nécessaire à cet habitant.
Ce n'est pas antinomique avec la végétation. On domestique tous les
espaces naturels, on transforme en parking, on transforme en rond-point
au-milieu desquels on met des jolis forêts parfois .

Cliquer pour agrandir

Magali Reghezza-Zitt :
En géographie, la périurbanisation est observée depuis 40 ans, c'est vraiment une dynamique qui s'observe partout dans le monde, cette ville se diffuse avec ses modes de vie, ses représentations, sur des espaces où jusque là elle n'était pas présente, et cela a des conséquences énormes en terme politique, sociaux, environnementaux.
Cela change complètement nos modes de vie, et le citoyen lambda, c’est-à-dire nous, on regarde ça un peu comme les vaches regardent passer les trains. On habite de plus en plus loin, et cela nous rend dépendants de la voiture, cela a des coûts sociaux comme le temps qu'on passe dans les transports, des coûts écologiques monstrueux, des coûts financiers, par-exemple installer l'électricité de plus en plus loin.
Olivier Razemon
Un phénomène mondial, observé partout, dans les démocraties, dans les dictatures, les pays pauvres, les pays riches, les pays en train de devenir riches, ceux où l'espace est réduit, ceux où l'espace paraît inépuisable. C'est un phénomène qui s'est toujours produit sauf qu'il y a une accélération depuis une quarantaine d'années, exemple : Los Angeles.
Une erreur qu'on fait en France, c'est de considérer que cette ville étalée, c'est une ville à l'américaine, et en fait quand on observe, quand on va en Seine-et-Marne, ou dans l'Ain, et quand on voit ces km2 de parkings et d'entrepôts, c'est chez nous aussi, et on croit en France
qu'on vit toujours dans un pays agricole et que l'espace est une denrée inépuisable, et que ce n'est pas si important de consommer de l'espace.

Dilatation de la ville.
A quoi correspond une ville au 21è siècle ?
Magali Reghezza-Zitt :
Certains historiens et géographes parlent de mort de la ville et du triomphe de l'urbain,
il n'y a plus de ville au sens classique, enfermée dans ses murailles, mais il y a de l'urbain partout, qui uniformise nos représentations.
L'un des buts de l'étalement urbain, c'est aussi la recherche de la nature, une nature domestiquée, il faut qu'il y ait de la neige dans le jardin mais pas sur la route.
Olivier Razemon:
Raisons de cet étalement urbain: le confort, la démographie, les gens vivent plus longtemps, divorcent davantage qu'avant: une maison sur deux vendue dans la périphérie lyonnaise est vendue à cause d'un divorce et puis il y a le pudding ou mille-feuille territorial, c'est-à-dire le nombre invraisemblable de décideurs, 37 000 maires qui ont chacun le pouvoir de délivrer un permis de construire, ils peuvent choisir d'artificialiser leur parcelle de territoire.
On doit gérer les risques sur cette surface de plus en plus étendue, ce sont de plus en plus d'acteurs qui décident, il faut les mettre d'accord, et la gestion traditionnelle, pyramidale, n'est plus possible.
Énormément d'acteurs: le maire, le propriétaire, l'architecte, l'urbaniste le promoteur, le géomètre, tout est morcelé, les réglementations sont très compliquées, elles se remplacent les unes les autres, plus personne n'y comprend rien, des élus de villages de 250 habitants sont obligés de faire appel à des bureaux d'étude spécialisés qui vont déchiffrer tous les textes...
Inéluctable ?
Éric Hamelin est plutôt optimiste, il pense que les mesures visant à limiter l'usage de la voiture peuvent avoir un effet, moi (Olivier Razemon) je suis moins optimiste, je constate qu'au cours des dernières décennies malgré tous les discours, la pratique va dans le sens inverse.
Les seuls endroits où l'étalement urbain régresse, ce sont les endroits où il y a des crises graves. Ex: Detroit qui a perdu la moitié de ses habitants en quelques années, et en Grèce, où les gens se mettent à quitter Athènes pour aller dans des bourgs, des villages, où ils se mettent à profiter des ressources naturelles existantes, les fruits, le soleil...

En faisant une recherche, on voit que le problème est pris en compte par les pouvoirs publics:
Etalement urbain et artificialisation des sols en France
- Les campagnes ne se dépeuplent plus depuis 1975
Rapport américain en faveur de l'étalement urbain

vendredi 24 février 2012

Dans le Cuvier gelé

Randonnée du 4 février 2012. Cliquez sur ce lien pour avoir un affichage dynamique: Dynamique
neige au CuvierStalactites sous les auvents d'un front de taille
L’histoire retiendra que nous avons eu une quinzaine de jours sans dégel au mois de février 2012. Pas de quoi décourager des marcheurs chaudement vêtus. Voici ce qu’en dit Patrick , qui a pris des photos d’une forêt particulièrement photogénique, avec son saupoudrage neigeux façon "sucre glace" :
23Roche du Cuvier
Belle sortie hivernale pour ce premier samedi de février .
La forêt est recouverte d'une mince pellicule de neige, les mares sont prises par la glace, un soleil rasant éclaire le paysage et réchauffe les randonneurs.

cavaliers de chasse à courre
Au début de la balade nous partageons le chemin avec une  chasse à courre  .
Rencontre éclair avec avec les sangliers que nous apercevrons furtivement .

Point de vue du camp de Chailly (3)Point de vue du camp de Chailly (1)
Puis se sera le point de vue du Camp de Chailly et la recherche du Club Zéro , une grotte bien connue des membres du FAL .
Les randonneurs contemplent la plaine au point de vue du camps de Chailly à 129 mètres d'altitude. A l'époque royale, ce point de vue était aménagé pour contempler les manœuvres et les évolutions des troupes rassemblées entre Faÿ, Chailly et Barbizon. Aujourd'hui, on y voit le village de Chailly-en-Bière qui semble bien paisible de loin alors qu'il est traversé par une grande route et borde une autoroute. Son cimetière abrite les tombes de Rousseau et Millet. Les peintres de l'école de Barbizon descendaient du train à Melun et traversaient tout cet espace de champs pour arriver à Barbizon qui lui est invisible, sauf quelques maisons, sous le couvert de la forêt.

Nous côtoierons les varappeurs aux Rocher Cuvier, Cuvier Rempart , La Merveille…
pleurs de roches
Pleurs de roche

Ensuite nous aurons une belle surprise avec la découverte de stalactites sous les auvents d'un front de taille. Pour voir le montage photo ci-dessus dans une meilleure définition: Pleurs de roche au Cuvier.
On trouve une explication de ces stalactites dans un billet récent de photonaturefontainebleau, il s'agit de pleurs, des infiltrations d'eau à travers le grès, souvent invisibles à la belle saison mais « les périodes de grands froids sont l'occasion de redécouvrir les pleurs de la forêt de Fontainebleau dans toute leur beauté » plus d'explications dans L'eau en forêt de Fontainebleau (vers la fin du billet).
mare prise par les glaces33
Pour finir nous nous attarderons vers la mare à Piat et celle à Dagneau .
Retour à la nuit tombante comme d'ab en hiver !
Au Rocher Canon le bonzaï géant nous attendait .

rocher Canon